Mon son de Booba, Marginale Musique de la Fonky Family ou plus récemment De rêves et de cendres de Lino, Mannschaft de Youssoupha ou Abuseur de Disiz. Ces morceaux ont tous un point commun, savez-vous lequel ? Bien qu’ils aient des sonorités différentes, ils ont été produits par le duo de compositeurs Medeline. Nous sommes allés à la rencontre des artistes qui se cachent sous ce nom sulfureux et qui ont produit pour ceux et celles qui ont participé à l’élévation du rap français. Mais avant d’en apprendre plus, présentons-les.
C’est à la fin des années 1990 que Rémi Tobbal et Guillaume Silvestri, accompagnés de Steve Fraschini, montent un groupe nommé Requiem Cartel. Dans une volonté de se démarquer, ils partent à la recherche d’instrumentales et de sonorités encore jamais (ou peu) utilisées dans le hip-hop français. Jamais mieux servi que par soi-même, ils se mettent finalement à la composition dans laquelle ils excellent et se font très vite remarquer. C’est à partir de ce moment-là qu’ils décident d’œuvrer sous le nom de Medeline, clin d’œil à la ville colombienne à l’ambiance électrique.
C’est en l’an 2000 que tout va basculer. Le trio rencontre, par l’intermédiaire d’un ami, Sat L’Artificier. Le marseillais, membre de la Fonky Family qui, rappelons-le, fait bouger toutes les têtes des amateurs de hip-hop qui se respectent, est séduit par leur travail. Il leur demandera alors de produire la grande majorité des titres de son premier album solo, Dans Mon Monde.
Suite à cela, le carnet de commande ne dégonfle pas et accueille des artistes de plus en plus prestigieux. Neg’Marrons, Disiz la Peste, Lino, La Brigade, Booba, Nessbeal, Diam’s, la Psy4, le 113 ou encore le Ministère AMER feront appel à eux. Certains feront même l’honneur de poser sur Illicite Projet, le seul projet uniquement produit par Medeline.
En 2010, même après de multiples voyages à l’étranger et des productions qui dépassent les frontières, le collectif n’abandonne pas l’essence même du hip-hop français et collabore tout autant avec des artistes de la « nouvelle génération », comme Sultan, Sadek ou encore Seth Gueko.
Comment ont-ils fait pour perdurer ? Quelle place est réservée aux beatmakers en France ? Ce sont tant de questions qui nous trottaient dans la tête et auxquelles Rémy, membre du duo, a répondu.
Vous avez choisi Medeline comme pseudonyme en référence à la ville colombienne assez électrique, « sulfureuse » comme vous le dites. Est-ce que vous avez la volonté de transmettre cette énergie dans vos productions ?
Le nom vient de l’époque où on rappait. On avait un groupe qui s’appelait Requiem Cartel. Ça devait être vers 1999/2000 et ce n’était pas comme aujourd’hui donc pas évident de trouver des mecs qui faisaient des sons. Faute de mieux on a commencé à bricoler nos premières « instrus » sous SoundForge (un logiciel d’edit audio pas du tout fait pour la production). Petit à petit on a pris gout à l’exercice et on très vite décidé de s’y consacrer. Il fallait juste trouver un nom et comme le cartel le plus célèbre était celui de Medellin en Colombie, on a juste modifié l’orthographe pour des raisons esthétiques et voilà !
C’est une rencontre avec Sat l’Artificier de la renommée Fonky Family qui vous a propulsé sur le devant de la scène, comment s’est passée cette rencontre ?
Ce sont des amis à nous (les rappeurs du groupe Relic, encore merci à eux) qui nous ont mis en relation avec Sat. Ils lui ont fait passer un cd de prods et peu de temps après j’ai reçu un appel de Sat me disant qu’il avait sélectionné une vingtaine de sons et qu’il fallait absolument qu’on vienne le voir à Marseille au plus vite. On était comme des dingues, imaginez on faisait du son dans notre chambre, on n’avait jamais travaillé avec d’autres artistes que nos potes et notre entourage et on se retrouve à composer la moitié de l’album d’un MC que t’écoutes depuis des années et qui t’as donné envie de faire de la musique !
Le beat est à l’origine de la musique. Pour moi il participe à 50%, voir plus, de la réussite d’un morceau et pourtant il est très rare que l’on suive un beatmaker comme l’on pourrait suivre un artiste. Selon vous quelle est la place réservée aux beatmakers dans le monde de la musique ?
Personnellement je ne suis pas trop fan du mot « beatmaker » je trouve ça trop réducteur, je préfère compositeur, ça renforce l’idée que le rap, notre musique, est une sorte de sous-culture alternative. C’est pas parce qu’on a jamais pris de cours de solfège ou qu’on ne sait pas lire une partition qu’on est incapable de créer, de composer… Ensuite je pense qu’on doit faire le distinguo entre la France et les US. La situation en France est différente, la reconnaissance est moindre, on a encore du mal, par exemple, à faire entrer dans la tête de certains rappeurs qu’à chaque fois qu’ils sortent un nouveau titre il faut nommer le producteur, comme ils le feraient naturellement pour un featuring. Il n’y a pas de producteur star comme il peut y a voir aux US des mecs capables de donner une identité musicale, une direction artistique à un projet.
Un des moyens de mettre en avant le travail des producteurs justement, c’est de faire un projet en invitant des rappeurs que l’on apprécie dessus. C’est ce que vous avez fait avec « Illicite Projet » avec la participation d’artistes qui font et ont fait les lettres de noblesse du rap français, Booba, le Minister Amer, le 113, Disiz, Pit Baccardi, Tandem pour ne citer qu’eux. Est-ce que vous pouvez nous parler de la réalisation de ce projet ? Est-ce qu’un Illicite Projet Vol.2 sortira un jour avec les artistes influents actuellement ?
Déjà, il faut que je remercie Ousman Loss, Youssouf (Rédemption) et Guillaume pour tout le taf fourni à cette époque, ça a été des mois de travail intense, ce sont eux qui sont allé voir tous les artistes présents pour qu’ils participent, ce n’était pas une mince affaire que de regrouper autant de gens sur un même album, ni de s’occuper de la promo, média… Surtout quand tu es en totale indépendance. Le but de cette album était d’inviter les rappeurs qui avaient marqué notre musique afin de mettre le projecteur sur les artistes de notre label de l’époque (Odessa Music) : le groupe Rédemption et Medeline pour la production musicale. On a vécu de grands moments en studio comme pour l’enregistrement du titre de Kery “Je Ne Crois Plus En L’illicite”, ce genre de séance où tu sais qu’il s’est passé quelque chose de spécial… Il n’y aura pas d’Illicite Projet 2, parce que depuis nos chemins se sont séparés et que cette aventure correspondait à un instant T dans nos vies, ça n’aurait pas de sens d’en refaire un aujourd’hui sous le même concept/nom sans que les mêmes personnes à l’origine du premier soient impliquées…
Ça fait désormais plus de 15 ans que vous produisez pour le rap français. Est-ce qu’il y a une recette pour perdurer ?
Je ne suis pas quelqu’un qui se retourne trop sur le passé et qui se félicite de ce qu’il a accompli. Ce qui m’intéresse et me motive c’est ce que je fais aujourd’hui et surtout ce que je peux encore faire de mieux demain. Il y a pourtant une chose dont je suis assez fier dans notre carrière c’est notre longévité. Je ne pense pas qu’il y ait de recette miracle, mais il faut quand même certaines choses indispensables pour espérer durer. Tout part de la passion sans elle rien ne se fait. Ce n’est pas un métier qui s’arrête comme lorsque t’as fini ta journée et que tu quittes ton lieu de travail ; ça reste avec toi 24/24, 7 jours sur 7 c’est donc exigeant dans ta vie personnelle, pour tes proches… Ensuite je pense qu’il faut être rigoureux et se discipliner pour travailler chaque jour, l’inspiration c’est comme un muscle ça se travaille, il faut être curieux, écouter plein de nouvelles choses, toujours chercher de nouvelles sonorités… Enfin je dirai qu’il faut se former une sorte de blindage psychologique, une carapace, pour que les aléas de la vie (personnelle et artistique) t’affectent le moins possible. Ta meuf t’as largué tu peux pas passer 6 mois à te morfondre et ne plus faire de musique, même quand ça va mal il faut continuer à créer, avancer, bosser… J’ai l’impression d’avoir commencé hier et dans ma tête j’ai encore tout à prouver et à faire, ça me permet de ne pas stagner !
Énormément de beatmakers s’inspirent des Etats-Unis, disant que nous ne faisons que copier ce qui se fait outre-Atlantique. Quel est votre avis sur ça ?
La copie n’a pas grand intérêt, tu vas faire ce qu’un autre a déjà fait en souvent moins bien. Tant que ça reste de l’inspiration n’y a aucun problème avec ça, c’est normal d’avoir les yeux et les oreilles tournées vers les États-Unis, notre musique est née là-bas. Moi tous les jours je fais le tour des nouveautés US et d’ailleurs et pas seulement en rap, il y a des choses qui vont me parler et que par la suite consciemment ou inconsciemment je vais incorporer dans ma propre musique, je pense que c’est le process’ normal de n’importe quel musicien. À moins d’être un génie, personne ne crée vraiment rien.
Vous vous êtes plus concentrés sur l’Europe en collaborant notamment avec des artistes italiens, allemands et anglais. Qu’est-ce que cela vous a apporté, que ce soit en termes de sonorités, ou même d’inspiration ?
Ça t’enrichit forcément, il y a des petites différences entre les marchés mais après la musique reste de la musique, si le feeling passe et qu’humainement l’échange se fait également peu importe la langue il en ressort de bonnes choses.
Vous avez aussi investi le monde du cinéma. Est-ce que justement, ce n’est pas ça la recette du succès, ne pas se cantonner au rap, puisez dans des inspirations diverses, pas seulement françaises ?
Très rapidement on a exploré d’autres routes, on a créé un side project qui s’appelait As The Stars Fall avec lequel on a sorti 2 Ep clairement destinés à l’image, le cinéma est une grosse source d’inspiration, je suis un gros consommateur de films et de séries ; c’est d’ailleurs un de mes objectifs un jour de pouvoir participer à la composition d’une bande originale de long métrage. Encore une fois plus tu élargis ton éventail dans ce que tu écoutes/regardes plus tu auras d’armes à disposition à intégrer à ta musique…
En ce qui concerne la partie rap il y a également l’album de Tito Prince qui est en cours de préparation, l’Ep de Keblack, le 1er album de Giorgio, le 2nd Ep de Mino, Jossman et je travaille également avec un jeune rappeur nommé Hatik qu’on coproduit avec LucidDream (la label de Disiz). On produit également 2 artistes de « pop française » : Lili Poe avec qui on a déjà sorti un premier titre en featuring avec Disiz et le groupe Madame Monsieur avec qui j’ai co-composé le titre Smile de Youssoupha ; on a également sorti un premier morceau, les Ep arrivent très vite.
En parlant du titre “Abuzeur” (avec des arrangements réalisés par Dany Synthé), on sent une influence du producteur DJ Mustard.
C’était clairement le but ! J’étais au studio de Disiz, on bossait sur la fin de Rap Machine et il m’a demandé un son plus club dans les ambiances de DJ Mustard, j’ai commencé par la ligne de basse et le morceau est parti de là.
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